MARY ELLEN DAVIS
 
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TIERRA MADRE

 
   
 

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Le Devoir 16 novembre 1996

Une boucherie planifiée

Clément Trudel, LE DEVOIR

TIERRA MADRE (TERRE SACRÉE) de Mary-Ellen Davis. Production B'alba. Distribution Cinéma libre. En première le dimanche 17 novembre, à la clôture des journées Caméras d'Amérique latine, Cinéma de l'ONF, rue Saint-Denis, à 14h. Sortie en salle le 22 au Parallèle.

"Le propriétaire se réserve le gigot; il laisse les os aux paysans.» Au Guatemala, déplore l'avocat Freddy Ochaeta dans Tierra Madre (Terre sacrée), "où donc étaient les autochtones quand les notaires avaient mandat de ne céder que les terres inoccupées?»

On a idée de l'imbroglio où se trouvent des paysans qui veulent nourrir décemment leurs familles; ils sont parfois mozos (valets de ferme), chichement payés, fréquemment ils sont refoulés vers les terres les moins productives, n'étant jamais certains qu'on prendra en compte leurs revendications collectives. Pour les Mayas - qui forment 65 % de la population -, il n'y a pas vraiment de titre «individuel" de propriété et «nous sommes tous fils de la terre»; cette façon de voir heurte le plus souvent les grands propriétaires de fincas qui n'hésitent pas à faire jouer l'intimidation ou le harcèlement pour chasser les «intrus» qu'ils emploient ensuite à la cueillette du café ou du coton.

Pour mémoire, il faut se rappeler que sur dix millions d'habitants, à 65% autochtones mayas, l'extrême pauvreté atteint 60 % des Guatémaltèques. 90 % des fermes y occupent 16 % de la surface tandis que 3 % des fermes (celles des grands propriétaires) accaparent 65 % des terres arables.

Ce film clame la douleur des survivants de massacres perpétrés par l'armée guatémaItèque en décembre 1982 dans le nord du Guatemala. Il ne s'agit pas d'une bavure isolée mais bien d'une boucherie planifiée et froidement exécutée.

Dans Tierra Madre , des leaders paysans disent qu'il n'y a pas à «céder à l'homme riche... nons n'avons pas peur... la loi nous aidera». Deux prêtres, Dario Caal et Marco Tulio Recinos, curé de San Miguel de Tucuru, témoignent de leur attachement aux revendications de ces paysans spoliés; ils refusent de se cantonner à «asperger d'eau bénite» leurs ouailles. Caal, issu de la famille q'eqchi des Mayas, explique qu'il se sentirait anachronique s'il ne s'attachait pas à «chercher Dieu au sein de ce peuple» meurtri.

A voir ces montagnes où s'effilochent des nuages, ces rivières paisibles de l'Alta Verapaz où glissent des pirogues motorisées; à capter le rythme lent de ces Mayas, on pourrait, à tort, conclure à une existence bucolique. Toute la trame du film tient à la narration du drame de Las Dos Erres, localité voisine de Beensekishpek. Un «puits de la honte" y a servi de tombeau à 162 victimes innocentes, la plupart des enfants, dans un village où périrent des centaines de fermiers soupçonnés de sympathie avec la guérilla. C'est à un fabricant de cercueils qu'est donné de nous souligner que «pour trouver la paix, il faut être unis». Les Mayas le sont, unis, pour donner une sépulture digne à ces amis, voisins ou parents que des équipes venues notamment d'Argentine aident à identifier à l'aide de lambeaux de vêtements, de lunettes ou de fragments de crâne. «Ils cherchaient la vie; ils ont trouvé la mort», dit un paysan à propos de concitoyens venus du sud en 1978 pour fonder un village qui fut pratiquement rasé par l'armée quatre années plus tard.

Mary-Ellen Davis, qui avait réalisé en 1991 un autre film sur la répression au Guatemala ( Le Songe du Diable ), réussit ici à nous servir une mélopée qui, paradoxalement, retentit comme un hymne à la joie de la dignité retrouvée. Le silence est rompu après 12 ans de craintes rentrées. Les Mayas du Guatemala, qui se sont longtemps sentis mis à l'écart et persécutés, trouvent aujourd'hui, après tant de souffrances et de tragédies, l'accent pour nous dire qu'ils s'activent à bâtir un pays respectueux de leurs traditions et de leurs droits.

Tierra Madre prendra l'affiche le 22 novembre au Cinéma parallèle, s.t. français, ainsi qu'au Cinéma du Parc, s.t. anglais, avec 9, Saint-Augustin , documentaire de Serge Giguère sur un prétre-travailleur social, Raymond Roy.

 

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